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L’expérience culinaire Bon Bon Greenhouses (serres) avec Charles Kaisin.

L’expérience culinaire Bon Bon Greenhouses (serres) avec Charles Kaisin.

La crise du Covid a, à tout le moins, perturbé nos habitudes. Chacun agit, vis-à-vis de cette menace, selon sa sensibilité aux risques. Certains se comportent quasiment comme si le virus n’existait pas. D’autres sont terrorisés par les risques potentiels sur leur santé ou celle de leurs proches.

Chacun est libre de ses opinions et le but n’est pas d’en débattre ici. Mais, pour les plus frileux ou les plus prudents (chacun choisira le mot qui lui convient), une initiative originale existe. La société IdEvents propose un concept reposant sur des serres en verre (greenhouses en anglais) pour deux, quatre ou six personnes. Ces serres sont désinfectées après chaque utilisation.

D’autres mesures sanitaires très strictes (plusieurs distributeurs automatiques de gel hydroalcoolique, menus et cartes via QR codes,…) complètent aussi les mesures de protection.

Mais, outre l’aspect sanitaire, il y a d’autres avantages à ce concept. Tout d’abord l’intimité et la confidentialité des discussions est renforcée. Ensuite, il y a l’aspect ambiance. Avec les petites enceintes Bluetooth placées dans chaque serre, on peut ajouter une ambiance musicale totalement personnalisée et optimisée à ses envies. Manger coupé du monde et avec sa musique, c’est un plaisir assurément plus fort.

La cuisine des serres

Plusieurs chefs et traiteurs se sont succédés dans les greenhouses. Mais, pour terminer la saison en apothéose, le partenaire choisi était le restaurant Bon Bon (deux étoiles Michelin). Le chef Christophe Hardiquest était même présent (le lundi est un jour de fermeture de son restaurant).

Le thème de l’expérience était la nature. Il fallait donc que le style culinaire s’y conforme et propose des plats 100% végétarien.

Ne servir que des légumes, à un public non-acquis à cette cause, est un challenge. Personnellement, rien ne pourra jamais battre une côte à l’os maturée d’un boeuf d’exception (comme le Kobé) ou un turbot cuit sur l’arête servi avec une sauce au vin jaune. C’est un avis personnel et bien entendu en aucun cas la vérité absolue.

Mais, même dans ma vision très classique (je veux même bien écrire archaïque) de la gastronomie, ce n’est pour autant que les légumes doivent être systématiquement relayés au rang d’accompagnements ou de garnitures. Alain Passard, dans son restaurant trois étoiles Michelin L’Arpège à Paris, le démontre depuis des années.

Toutefois n’est pas Alain Passard qui veut et il faut être un grand chef pour faire oublier, aux récalcitrants de mon genre, l’absence de viandes ou de poissons.

Le végétal et Christophe Hardiquest

Christophe Hardiquest figure parmi les plus grands chefs belges et il vient de décrocher le prix de « Best vegetables restaurant of Belgium 2020 » par « WE’RE SMART WORLD ». Il était assurément parfaitement placé pour réussir le challenge. Parce que cela demeure toujours un challenge. Du végétal, tout le monde s’en réjouira sur un plat ou l’autre. Mais il est bien plus compliqué de tenir tout un menu, d’assurer de l’explosion gustative, de conserver de la gourmandise et d’éviter l’écueil d’une amertume ou d’une verdeur trop prononcée. J’ai encore en mémoire une anecdote d’un chef noté 15/20 au Gault & Millau. Mon fils, dix ans à l’époque, goûte son plat « végétal » à base de radicchio. Instantanément, il recrache dans son assiette. Je le sermonne, un rien énervé par cette attitude tellement impolie. Je goûte ensuite son assiette : une infamie crue et amère ! J’ai eu bien du mal à ne pas faire de même.

Les conditions sont difficiles dans le cadre du concept de Greenhouses. Par exemple, il n’y a pas l’eau courante. Il ne faut donc pas s’attendre à une précision (principalement sur la température de service des plats ou sur la complexité du dressage) du même niveau que celle que l’on rencontre au restaurant Bon Bon. Mais, cet aparté fait, le niveau atteint était remarquable. Il y avait même quelques coups de génie comme le carpaccio de boeuf du jardin à la concentration de tomates à l’eau fumée – Vinaigrette Harry´s Bar.

C’est un plat où la texture est incroyable. On retrouve littéralement la texture de viande de boeuf coupé finement au couteau. En supplément, on ressent les marques de fabrique de Bon Bon : l’explosivité et la concentration des goûts notamment avec des arômes délicats de boucané.

Une petite déception était au rendez-vous sur le plat suivant : la vichyssoise du mariage Tomate-Fraise. L’association est réussie avec un dosage remarquable. On ressent délicatement la fraise en fin de bouche et c’est une douceur très agréable sans être dominante. L’équilibre est donc au rendez-vous. Mais, sur ce plat, on ressent moins de créativité, moins d’explosivité et surtout moins de surprise que sur les autres plats du menu. Et, pas de chance, ce plat est servi après l’incroyable carpaccio de « boeuf » du jardin. Je l’aurais plutôt placé en premier.

Une autre très grande réussite est le le rôti d’artichauts au foin et à la chaux vive – aioli d’ail noir, fuseau de céleri concentré. En particulier, la sauce à base d’ail noir fermenté est extraordinaire. Tout d’abord de par sa texture soyeuse mais surtout, à nouveau, avec un goût concentré et une gourmandise comparable à un jus de viande.

Pour terminer le menu, en apothéose, c’est un dessert qui m’avait tant procuré d’émotions chez Bon Bon en 2014 : le jardin de Beersel, Fontainebleau aux herbes, glace oseille et poivre, jus détox céleri citron. Comme chez tous les grands chefs, le sucre est dosé avec parcimonie. Les goûts sont à nouveau très nets et tranchants. Le point le plus marquant et le plus remarquable, c’est la douceur et l’umami du fromage qui vient équilibrer l’ensemble du plat et surtout l’acidité du jus.

Je connais la cuisine de Christophe Hardiquest depuis plus de dix ans. Je sais comment il a débuté, je sais par où il est passé et je sais où il en est. Avec le végétal, un nouveau territoire d’exploration s’est ouvert et il s’y est engouffré. Il y réussit déjà des petites merveilles, faisant penser qu’avec un chef comme lui, on pourrait presque se passer de viandes et de poissons à tous les repas. Parce que, au contraire de beaucoup, il apporte de l’innovation et de la complexité.

Mais je sais aussi qu’il a encore un beau chemin devant lui et je suis certain que, au fil des années, les plats vont continuer de monter en qualité. Je pense, sincèrement, qu’il deviendra un des meilleurs chefs « végétal » de Belgique, d’Europe et peut-être même du monde. J’ai en tout cas déjà ressenti, sur certains plats, les mêmes émotions que celles que j’avais vécues chez le maître Alain Passard, dans son jardin à Bois-Giroult.

Les vins de l’expérience

Je n’avais pas compris, à la réservation, qu’il y aurait une carte des vins. Encore que, peut-on vraiment parler d’une carte des vins quand on ne trouve pas les millésimes (facteur ô combien important) et ni même parfois le nom du producteur ?

J’avais donc opté pour le forfait vin, toujours dans le thème nature, à 35 euros. 

Les vins natures sont devenus une tendance très forte et très clivante dans le monde du vin. Ils sont souvent portés aux nues et considérés comme les seuls vins authentiques. Mais ils sont aussi souvent moqués comme des vins qui « puent » l’écurie et qui sont destinés à être bus par des parisiens bobos. La vérité se trouve surement entre ces deux extrémités.

Mon expérience me porte à me méfier des vins natures mais, bus jeunes et à condition qu’ils ne soient pas déviants (ce qui peut arriver sur n’importe quelle bouteille : c’est un peu le lotto), ils peuvent apporter beaucoup de plaisir. Pour ce repas, les vins choisis n’étaient pas natures mais plutôt élevés en biodynamie. C’est un choix moins risqué car les déviances sont plus rares et les vins sont plus aptes à vieillir (on ne m’enlèvera pas de l’idée que l’apport de souffre est incontournable pour permettre au vin de se conserver et de bonifier). On avait donc, ici, l’intelligence de ne pas risquer de se planter juste pour être à fond dans le concept nature.

L’accord proposé était intéressant. Il mettait en avant une région et des cépages moins courants : La Loire. C’est toutefois dommage, dans un forfait vin, de proposer deux fois le même vin pour deux plats différents, l’intérêt premier de prendre un forfait vin étant bien entendu d’avoir un vin qui change à chaque plat. Sur le fond, on ne fait pas non plus de miracle. A 35 euros le forfait (de cinq verres de vin), difficile de faire de grandes choses. Mais ces petits vins (à quelques euros en prix d’achat) était plutôt plaisants et gouleyants avec un fruité souvent intéressant sur les plats. 

Le divertissement (l’entertainment)

Pour l’aspect diverstissement et mise en scène artistique, c’est Charles Kaisin qui était à la manoeuvre. Charles Kaisin est le créateur des fameux et élitistes dîners surréalistes. Ce sont des expériences où l’on est surpris en permanence par la créativité du spectacle : des méduses lumineuses, des cartes à jouer vivantes,…. La culture de l’artiste est tellement développée que ses scénographies font sans cesse référence à la littérature, l’art, l’histoire, la mode, la musique, l’opéra,…Le spectacle est tellement complexe et intellectuel qu’un feuillet explicatif est en général remis à la fin du repas pour fournir toutes les explications. Certains repas de Charles Kaisin peuvent coûter plus d’un million d’euros.

Il est toutefois évident que, lorsque votre expérience est facturée 230 euros (dont 35 euros pour le forfait vin), le budget consacré à la partie mise en scène doit être très limité. C’était justement cette partie là qui m’intriguait le plus et j’étais impatient d’avoir un petit aperçu du monde et des œuvres de cet artiste privilégiant le « made in Belgium ».

Je ne peux pas vraiment dire que j’ai eu un aperçu de l’artiste. Je dirais que j’ai été diverti par quelques clins d’œil à son univers. Par exemple, on s’est amusé avec un jeu de points à relier multicouche.

On nous a appris à faire un origami

Et, bien que je ne sache pas vraiment si c’est de Charles Kaisin ou pas, on a apprécié les assiettes et cloches personnalisées « nature » 

Je ne pensais pas que Charles Kaisin serait présent lors du repas. Au moment de la vichyssoise, un serveur bien sympathique est venu nous servir et nous expliquer le plat. La personne était souriante (cela se sentait derrière son masque) et dégageait une énergie positive et emphatique. Ce n’est que lorsqu’il est venu dire au revoir, en fin de repas, que j’ai réalisé que c’était Charles Kaisin. J’étais content de l’avoir croisé, ignorant qui il était, et que mon ressenti positif fût donc totalement exempt de la forme d’admiration naturelle que l’on a pour les artistes de renom.

Conclusions

L’expérience Greenhouses est terminée. C’est un beau concept de clôture, cohérent et dépaysant, qui a été proposé par Christophe Hardiquest et Charles Kaisin. J’ai cru comprendre que Greenhouses allait emménager à Tour & Taxi et qu’un concept de cabanes (KBane) verrait peut-être le jour. A suivre donc.


Lien vers le site web de l’expérience

https://greenhouses-byidevent.be


Menu 5 valses par le chef ** Christophe Hardiquest (Bon-Bon

 

Valse 1: Carpaccio de Boeuf du Jardin à la concentration de tomates à l’eau fumée – Vinaigrette Harry´s Bar.

Accord mets vins: Grolleau, domaine des hauts baigneux

Valse 2: Vichyssoise du mariage Tomate-Fraise

Accord mets vins: Grolleau, domaine des hauts baigneux

Valse 3: La tarte croustillante aux shitakés de Bruxelles, Vin jaune et gel de thym

Accord mets vins:  Montlouis sur Loire, Bertrand Jousset, 1er rendez-vous

Valse 4: Le rôti d’artichauts au foin et à la chaux vive – aioli d’ ail noir, fuseau de céleri concentré

Accord mets vins:  Chinon, domaine de la marinière

Valse 5: Le Jardin de Beersel, Fontainebleau aux herbes, glace oseille & poivre, jus détox céleri citron

Accord mets vins:  Prosecco phoja


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